"De la dégradation de l'élite bourgeoise"

"Gilgamesh"
Papier découpé
« Une étrange oligarchie financière mondialisée, comportant deux ou trois grandes galeries parisiennes et new-yorkaises, deux ou trois maisons de vente, et deux ou trois institutions publiques responsables du patrimoine d’un Etat, décide ainsi de la circulation et de la titrisation d’oeuvres d’art qui restent limitées à la production, quasi industrielle, de quatre ou cinq artistes.Cette microsociété d’amateurs prétendus ne possède rien, à vrai dire, sinon des titres immatériels, elle ne jouit de rien, n’ayant goût à rien. Elle a remplacé l’ancienne bourgeoisie riche et  raffinée qui vivait parmi les objets d’art, les tableaux et les meubles qu’elle se choisissait et dont elle faisait parfois don à la nation, les Rothschild, les Jacques Doucet, les Noailles en France, comme les Hahnloser en Suisse, les Stein en Amérique, les Tretiakov en Russie… Mais surtout, société cultivée, qui prenait son plaisir à fréquenter, à côtoyer, à devenir à l’occasion l’amie, non d’un homo mimeticustraderou banquier lui-même, qui lui aurait renvoyé au visage sa propre caricature, mais d’un homme différent d’elle, étrange, un artiste, un ‘original’ – au double sens du mot – dont elle appréciait l’intelligence et le goût, comme Ephrussi, Manet. Cette histoire-là, qui conclut celle qui commence lorsque Léonard meurt dans les bras de François Ier et se continue lorsque Watteau s’éteint entre les bras du marchand Gersaint, cette longue histoire des protecteurs et des créateurs, des mécènes et des bohèmes, des connaisseurs et ds artistes, a été l’histoire de l’art de notre temps. Elle est finie ».

Jean Clair, L’hiver de la culture, éd. Flammarion, coll. Café Voltaire, pp. 104-105.
Je ne partage pas tout-à fait ce point de vue:  l'élite se délite certes, néanmoins une poignée de gens courageux et motivés pensent ,et prouvent, que le courant peut être inversé;  des artistes, il y en a beaucoup, et  il n'est pas évident de tenir la barre sur cet océan trouble et agité, de se retrouver dans cette imbroglio d'influences, et pourtant tout reste à découvrir, dans la plus grande tolérance, avec discernement. Sans-doute que ces "élites" oublient que ce qui faisaient la qualité de ces grands collectionneurs, outre le numéraire, c'était l'attachement à une exigence, le désir d'apporter un éclairage neuf sur des témoignages de leur époque, et de transmettre , un fossé difficile à combler dans cette ère spéculative...

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